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La vache du Sahel pleure. Rira-t-elle un jour ?

La CEDEAO est en pleine négociation interne pour l’adoption d’un nouveau TEC (l’ensemble des tarifs douaniers). En effet, après avoir adopté le TEC de l’UEMOA, elle vient d’adopter une 5° bande à 35 %. Le plus difficile reste à faire : que va-t-on faire mettre dans cette bande tarifaire ? Quels produits doivent être protégés par une taxe à l’importation de 35 % ? C’est là que les difficultés commencent !

Femme peule présentant le lait qu'elle vient de traireEn effet, les 15 pays de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) n’ont pas tous les mêmes intérêts. A l’intérieur d’un même pays, les intérêts (au moins à court terme) des paysans et des consommateurs urbains ne sont pas les mêmes. L’exemple du lait est tout à fait significatif.

Depuis la crise alimentaire de 2008, les pays du Sahel s’intéressent à la filière lait. L’an passé, le prix du lait en poudre a atteint des sommets, si bien que la plupart des installations artisanales de transformation de lait en poudre en yaourt ou dégué ou autres produits laitiers a fait faillite. Mieux, les petites laiteries qui transforment le lait local se développent, et les gouvernements des pays du Sahel se réveillent et s’intéressent enfin à la production locale de lait.

Mais aujourd’hui, le prix du lait en poudre sur le marché mondial chute à nouveau. Pire, on voit arriver sur le marché de nouveaux produits de faible qualité, fabriqués à partir d’un peu de poudre de lait écrémé, de graisse végétale et de sucre. Ces produits vendus comme « lait concentré sucré » arrivent sur le marché à des prix défiant toute concurrence. D’où la nécessité d’instaurer une réelle protection, si les pays du sahel veulent développer leur filière lait.

L’exemple du Kenya est tout à fait significatif. Voici un pays qui, il y a quelques années, importait, comme les pays du sahel, l’essentiel des produits laitiers consommés par les populations urbaines. Aujourd’hui, ce pays est devenu exportateur de produits laitiers. Que s’est-il passé ? Le Kenya a augmenté progressivement ses droits de douanes sur les produits laitiers de 25 % en 1999, à 35 % en 2002 et enfin à 60 % en 2004.

Pour en savoir plus sur ce thème, nous vous conseillons de lire « Kenya et Niger : la vache qui rit et celle qui pleure ».

Femme peule manifestant contre le lait importé à bas prixIl est clair que si les pays du Sahel veulent développer leur filière lait, ils doivent mettre les produits laitiers dans la nouvelle bande tarifaire du TEC de la CEDEAO, la bande dont le taux est de 35 %. Or, nous entendons dire que la Côte d’Ivoire a demandé de classer le lait en poudre (notamment les sacs industriels de 25 kg) à 0 %. Elle considère le lait en poudre comme un intrant pour fabriquer du lait reconstitué ou des yaourts…

A l’heure où j’écris ces lignes, je ne connais pas l’issue des négociations sur ce point. Mais de deux choses l’une : si les pays côtiers veulent asseoir l’intégration régionale, ils doivent laisser aux pays sahéliens la possibilité de se développer là où ils ont de réelles opportunités pour le faire. Les pays sahéliens, de leur côté doivent défendre leurs intérêts. Dans le cas contraire, les pays du Sahel aurait tout intérêt à reconsidérer leur appartenance à la CEDEAO. Et surtout, ils devraient refuser de signer l’APE (Accord de Partenariat Economique) qui, comme PMA (Pays Moins Avancé) ne leur apportera rien.

Nous avons pris l’exemple du lait, mais nous aurions pu analyser la situation de bien d’autres produits comme le riz, la viande, la tomate (menacé par les concentrés de tomate chinois…), les confitures, le sucre… C’est dire qu’il y a urgence à ce que les négociations sur le TEC de la CEDEAO se fassent dans la transparence, en s’appuyant sur de réelles consultations de la société civile, et notamment des organisations paysannes de chaque pays. De leur côté, les organisations paysannes devraient donner publiquement leur avis sur le TEC de la CEDEAO, et faire des propositions précises.

Pour finir, tournons nous à nouveau vers le lait. La CEDEAO n’a pas retenu la demande du Nigeria qui voulait une bande tarifaire à 50 %. La CEDEAO ne s’est donc pas donné les moyens de se protéger à hauteur de 50 %, encore moins de 60 % comme le Kenya. Une solution alternative : si la CEDEAO s’aperçoit que des droits de douanes à 35 % sont insuffisants, elle pourra toujours les compléter par un droit d’accise de 10 000 F CFA par sac de poudre de lait de 25 kg.

Koudougou, le 26 juillet 2009
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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