Le
Burkina est un pays profondément agricole. Les bons chiffres de
son économie reposent généralement sur les performances de ce
secteur qui occupe près de 80% des Burkinabè. Mais, après plus
de quarante ans de politiques agricoles, le
secteur est toujours miné par un manque de vision claire de son développement.
Les paysans eux, sont les dindons de la farce. Mal préparés
au désengagement de l'Etat des volets production, encadrement et
commercialisation, ils sont des victimes aux mains de nouveaux
acteurs qui n'ont d'autres soucis que de faire du fric ici et
maintenant. C'est la conséquence du vent de libéralisation qui
secoue le monde agricole depuis la mise en oeuvre du Programme d'Ajustement du
Secteur Agricole (PASA) dans les années 90.
Cette
stratégie de relance du secteur reposait sur une répartition
claire des rôles. L'Etat s'occupe des infrastructures
socio-économiques (pistes,
routes et aménagements hydro-agricoles) et de l'élaboration d'un
cadre juridique et réglementaire. Le secteur privé, quant à
lui, devait investir le créneau des circuits de la
commercialisation, de la distribution des facteurs de production.
Aux paysans, longtemps "encadrés", on demandait de
produire pour le marché et pour garantir la sécurité
alimentaire.
Dix
ans après, si les paysans continuent de produire mieux et selon
les caprices du ciel, la commercialisation de leurs produits n'a
presque pas connu d'améliorations notables. Le déclin de la filière
haricot vert continue parce que les sociétés de
commercialisation se sucrent sur le dos des producteurs. Prix bas,
produits déclassés ou impayés, tels sont les problèmes qui
minent certaines filières telles celles du riz, du haricot vert,
de la mangue. Le circuit de distribution
est fait de sorte que dès qu'il y a un grain de sable dans la
machine, c'est le producteur qui en paie les conséquences. On se
demande alors où se trouve l'Etat quand des milliers
d'agriculteurs sont ainsi victimes de commerçants véreux ou de
grandes sociétés installées souvent avec sa bénédiction?
Les plaines de Bagré et du Sourou sont de grandes réalisations
du gouvernement qu'il faut saluer et encourager. Mais que faire de
toute la production de riz qui en sort? La SOPROFA (Société de Promotion des
Filières Agricoles), annoncée à grand renfort de
publicité comme la locomotive qui devait entraîner la production
vers le marché, bat déjà de l'aile. Elle répète les mêmes
erreurs que ses prédécesseurs. Trop de promesses non tenues.
Produire pour le marché suppose que la spéculation est rentable
pour le producteur, qui peut alors s'endetter à cet effet. Or que
constate-t-on ? A chaque campagne, des paysans sont obligés de
brader leurs récoltes pour survivre, augmentant ainsi leur niveau
d'endettement. Au lieu d'avoir en face d'eux des partenaires, les
paysans ont davantage l'impression d'avoir affaire à des sangsues
qui s'enrichissent sur leur dos. On peut reprocher aux producteurs
leur faible niveau d'alphabétisation ou l'insuffisance de la mécanisation
agricole. Mais si leurs produits sont achetés au juste prix, ils
feront le nécessaire pour répondre aux normes des acheteurs.
L'exemple du haricot vert du Bam, jadis numéro 1 sur le marché
européen, est encore dans les mémoires.
Pour
relancer le secteur agricole, le gouvernement a introduit le
concept d'agro-business comme alternative au paysannat constitué
essentiellement d'exploitations familiales. Sans négliger cette
solution, il ne faut cependant pas oublier que les
agro-businessmen ne sont pas une génération spontanée. Le développement
de l'agro-business doit être le fruit d'un processus de
transformation des mentalités et de la production elle-même.
Pendant ce processus, l'Etat devrait pouvoir jouer un rôle de
catalyseur en favorisant les investissements structurants.
L'exemple du coton qui s'ouvre aujourd'hui au secteur est un bel
exemple de structuration d'une filière, de la production à la
commercialisation. D'où vient alors la difficulté d'organiser
une filière riz, mangue, céréales ou sésame
à l'image de la filière coton ? Est-ce un manque de volonté
politique ou sont-ce des filières qui ne sont pas porteuses? En
tout cas, la désorganisation actuelle du
secteur agricole profite à tous sauf aux producteurs.
Une
des solutions préconisées est la valorisation et la
transformation des produits locaux. De petites unités existent
certes, mais elles sont insignifiantes face aux enjeux. Le marché
local, quoique étroit, devrait pouvoir consommer une partie de la
production. Pour cela, il faudrait que les Burkinabé redécouvrent
les vertus du riz de Banzon ou de Bagré et consomment beaucoup
plus les confitures de mangues de Orodara que celles d'abricots ou
de cerises d'Espagne. Si l'agriculture est vraiment une priorité,
l'absence de banques agricoles dignes de ce nom ainsi que
l'absence de celles
de grandes unités agro-industrielles en laisse dubitatifs plus
d'un. Ceci explique peut-être cela. Toujours est-il que le
financement du secteur agricole demeure problématique. C'est pour
cela que l'Etat doit être présent quand cela est nécessaire
pour préserver l'activité, grâce à une vision claire du développement
de l'agriculture. Il doit aussi accorder des facilités aux
acteurs du monde rural qui sont vraiment en mesure d'apporter un
plus au secteur et éviter une gestion partisane de certaines
opportunités, telles les charrues et les tracteurs offerts selon
la tête du client et dont on recherche aujourd'hui désespérément
l'impact réel.
"Le
Pays"
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