La vache heureuse est généreuse.
Elle rend heureuse toute la famille !
(première partie)
Le dimanche 25 août 2013, j'ai eu l'occasion de donner une communication au Forum des pasteurs nomades. Etaient présents plus de 200 pasteurs peuls du Burkina Faso, du Niger, du Bénin, du Togo, du Ghana, du Mali, du Nigeria, du Sénégal, du Cameroun... Ma communication s'adressait surtout aux pasteurs peuls de l'Afrique de l'Ouest. Mes exemples étaient, le plus souvent, pris au Burkina que je connais mieux. Voici quelques propositions qui peuvent aider à transformer un troupeau destiné à produire de la viande en un troupeau producteur de viande et de lait.
Proposition 1 : Les pasteurs nomades doivent prendre conscience que le monde a changé.
Je suis arrivé au Burkina Faso en 1965 (en ce temps le pays s'appelait Haute Volta). Nous étions 4 millions d'habitants. Aujourd'hui nous sommes plus de 17 millions d'habitants. On ne peut continuer à vivre comme quand nous étions 4 millions.
Le monde a changé. Si vous ne changez rien dans votre façon de vivre, de faire l'élevage, le monde va vous rejeter. Pourtant à il y a de la place pour vous. Si vous voulez rester vous-mêmes, si vous voulez rester maître du changement, à vous de voir ce que vous devez conserver pour ne pas perdre votre identité et voir ce qui doit changer.
Proposition 2 : Multiplier les mini laiteries.
C'est possible, même si cela demande des changements. Au minimum, pour créer une mini laiterie, il faut s'organiser pour qu'avant 5 ans, les éleveurs qui habitent à moins de 20 km de la laiterie soient capables de fournir 100 litres de lait par jour, chaque jour de l'année. Une vache zébu peule bien nourrie (notamment avec du soja, et son veau avec du « jus » de soja) donne facilement 5 litres de lait par jour, pendant 6 mois, soit 900 litres par lactation ; bien au delà de la moyenne de 110 litres par an !). 40 vaches zébu peules bien nourries peuvent suffire. Une bonne goudali bien nourrie donne au moins 8 litres par jour... Pourquoi au mois de mars, faut-il aller vers des éleveurs mossis pour avoir du lait ?!
Il ne s'agit pas de supprimer la transhumance, mais plutôt d'allier ce que l'on peut appeler le système pastoral transhumant et le système d'élevage extensif sédentaire. L'éleveur va s'organiser pour pouvoir garder quelques vaches allaitantes chez lui, quand le reste du troupeau partira en transhumance.
Proposition 3 : Développer l'alphabétisation des adultes (spécialement des femmes) en fulfulde.
A cet effet AU SEDELAN nous avons développer plusieurs outils, dont un syllabaire en fulfulde spécialement adapté aux éleveurs et un livre de causerie pour l'accompagner. Il est urgent, également, de une discrimination positive en faveur du fulfulde.
Proposition 4 : Pour développer les laiteries appuyons-nous sur la décentralisation.
Les états ne sont guère intéressés par les mini laiteries. Ils préfèrent s'appuyer sur les élevages modernes situés à la périphérie des grandes villes, et construire une ou deux laiteries capables de transformer beaucoup de lait...
Mais les maires sont intéressés à voir la création d'une laiterie sur leur territoire. De plus ils ont la capacité de faciliter cette création. Pourquoi pas une mini laiterie par commune rurale ? Pourquoi pas 300 laiteries. 300 laiteries qui reçoivent 100 à 200 litres par jour, c'est déjà 40 000 litres de lait par jour, soit près de 15 millions de litres commercialisés et transformés par an pour une valeur de 90 milliards de francs. C'est bon pour un début !
Proposition 5 : Participer activement aux CVD (Comité villageois de Développement) et au Conseil Municipal de la Commune.
D'où la nécessité, après l'alphabétisation en fulfulde de proposer des formations techniques (qui peuvent être prises en charge par le FONAENF) sur la décentralisation, le rôle des CVD et du conseil municipal et du PNGT (Programme National de Gestion du Terroir). Beaucoup de choses sont possibles si on ne s'isole pas dans son quartier. Les éleveurs sont des citoyens à part entière, encore faut-il qu'ils prennent leur place dans les institutions de leurs pays.
Proposition 6 : Compter d'abord sur ses propres forces.
Y-a-t-il un seul état qui est prêt aujourd'hui, à investir massivement auprès des éleveurs peuls ? Ce n'est pas sûr. Nous devons, au moins pour commencer compter sur nos seules forces. Ensuite, nous trouverons sans doute des appuis. 10 millions de bovins, pour le seul Burkina, c'est un capital d'environ 2 000 milliards de francs. Avons-nous besoin de demander de l'aide pour commencer. ?
Proposition 7 : Un verrou à faite sauter.
Les ressources potentielles des éleveurs qui pratiquent la transhumance sont immenses. Mais de nombreux obstacles freinent le changement. Un pasteur nomade peut-il mettre sa fierté dans la qualité de son troupeau plus que dans le nombre de bêtes ?
Qui est prêt à passer d'un troupeau de 100 vaches mal nourries, menacées par la sécheresse , à un troupeau de 50 vaches « heureuses » ?
J'ai du mal à comprendre comment un éleveur peut-être fier de posséder 100 vaches mal nourries, incapables de lui donner du lait dès le mois de février.
Qui est prêt à commencer par bien nourrir 2 vaches toute l'année (une pour sa famille, et une pour la laiterie) ?
Qui est prêt à vendre quelques bêtes avant qu'elles ne meurent de faim (cf sécheresse de 2005. En 2005, les troupeaux ont perdus en moyenne 13 vaches sur 100) ?
Ou pour améliorer les qualités laitières de son troupeau ? Par exemple, vendre 2 zébus peuls pour une goudalie bonne laitière.
Si, à toutes ces questions, nous répondons : « Non », il ne sera pas possible d'atteindre notre objectif. Si nous répondons « Oui », alors nous pouvons continuer !
Je ferai d'autres propositions dans ma prochaine lettre. Mais déjà je suis intéressé par vos réactions, notamment celles des éleveurs peuls.
Koudougou le 29 août 2013
Maurice Oudet
Président du SEDELAN