La question foncière au Burkina Faso :

Sécurité foncière et Souveraineté alimentaire doivent aller de pair !

 Le GRAF (Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier) vient d’organiser à Ouagadougou ses journées nationales sur le thème de la sécurisation foncière en milieu rural en mettant l’accent tout particulièrement sur l’accès des femmes aux terres agricoles et la place des « nouveaux opérateurs » (agro-bussiness).

 Monsieur Thiéba, responsable de ce Groupe, a insisté dès l’ouverture, sur la nécessité et l’urgence de ce travail de réflexion sur la sécurisation foncière. Les enjeux sont très grands et les choix que fera le législateur conditionneront grandement la lutte contre la pauvreté, la paix sociale et même la démocratie.

Des solutions sont à trouver qui respectent l’équité dans l’accès au foncier, qui permettent une sécurisation suffisante pour travailler efficacement, qui ouvrent la voie à la gestion des conflits entre les différents acteurs : état, collectivités, coutumiers, nouveaux opérateurs, agriculteurs et éleveurs… (Le domaine foncier n’est pas élastique ; et ce qui est légal en ce domaine n’est parfois pas légitime)

Au cours de cette journée et demie qui s’est ouverte sur un théâtre forum évoquant ces conflits si fréquents entre ces différents acteurs,  et qui a été nourrie par deux conférences abordant chacune l’un  des thèmes clé de cette rencontre, quelques questions m’ont particulièrement touché :

 Pour ce qui concerne l’ accès des femmes à la terre, tous les hommes présents ont lourdement insisté sur tous les facteurs traditionnels qui n’autorisent pas les femmes à accéder de manière stable à la terre. Il leur a été rappelé que la terre est sacrée, liée à des coutumes réservées aux hommes (surtout les sacrifices),… que leur statut de femme « étrangère » déstabiliserait les patrimoines en cas de conflits matrimoniaux… enfin qu’elles risquaient, en devenant plus indépendantes par le foncier, de déstabiliser les familles en affaiblissant la puissance masculine… que de toutes façon, il leur faudrait des décennies avant de pouvoir faire valoir des droits en ce domaine…

Et cela, malgré toutes les affirmations d’une femme venue du ministère de la justice qui nous assure que la loi ne fait pas de différences entre l’homme et la femme, tous deux sujets égaux devant la loi…

Des témoignages de vie au quotidien nous ont rappelé qu’il n’en est pas encore ainsi, que beaucoup de dossiers n’aboutissent pas quand ils sont présentés par des femmes, de multiples contributions financières complémentaires illégales sont demandées à chaque étape du dossier, les hommes font obstacle…

Du coup, les femmes elles-mêmes en arrivent à se demander si le combat du genre ne risque pas d’empirer les choses ! Comment en sortir ? Pourtant, leur rôle est reconnu par tous comme primordial dans la production agricole de notre pays.

 Pour ce qui concerne le rôle de l’Etat, il semble en ce domaine particulièrement défaillant. Même s’il se dit propriétaire,… il est jusqu’à présent incapable d’établir en de très nombreux endroits les titres pour les terrains de ses propres biens immobiliers ou ceux des collectivités locales : bâtiments des préfectures, de l’enseignement, de la santé, etc.

Pour les citoyens, les procédures d’accès au foncier sont terriblement longues, compliquées, opaques,… et onéreuses (et pas seulement par rapport aux taxes prévues par la loi).

La définition claire du « Procès Verbal de Palabres » et ses conditions de délivrance restent encore à faire.

 Pour ce qui concerne la place des nouveaux opérateurs, c’est là sans doute que le débat fut le plus vif, parce qu’il engage une vision du développement de l’agriculture dans notre pays et une certaine vision de la propriété de la terre et de son appropriation.

La terre est-elle seulement une marchandise comme tout autre bien, achetable, vendable et spéculative…dans une logique de privatisation à outrance comme nous y invite le néo-libéralisme actuel ? Grande question à laquelle devraient être invités à répondre tous les citoyens de notre pays.

 Faut-il d’abord sécuriser tous les producteurs traditionnels (y compris les femmes et les groupements féminins) par des contrats et des baux suffisamment longs pour leur permettre de produire et d’investir en paix et dans la durée sur leurs exploitations familiales ?

(La terre mise d’abord à disposition de celle ou celui qui la travaille directement de ses mains).  

Faut-il privilégier et sécuriser la propriété traditionnelle des communautés villageoises, des lignages privilégiés ou des chefs coutumiers… au risque de maintenir une société « féodale » ?

 Ou bien faut-il donner la priorité aux nouveaux opérateurs économiques supposés investir dans une agriculture plus moderne (et non accaparer des terres en vue de futures spéculations) ?

Au risque d’accentuer l’exode rural déjà mal digéré par les deux seules grandes villes où se font l’essentiel des investissements du pays…

Au risque de transformer une partie des producteurs actuels en salariés agricoles dans des conditions qui seront très probablement bien loin des conditions légales du salariat du pays…

 Quant à nous, avec nombre de nos partenaires, nous pensons que la sécurisation foncière des agriculteurs et des éleveurs traditionnels (dont certains sont déjà bien modernes et qui produisent l’essentiel de la richesse du pays) par des contrats et des baux de longue durée garantis par la loi est urgente et nécessaire. Sans cette sécurité foncière des paysans, paix sociale, démocratie et lutte contre la pauvreté seront des objectifs impossibles à atteindre.

 Mais cela ne suffit pas. L’expérience d’autres pays pauvres (Amérique centrale, Sri Lanka…) a montré que la délivrance de titres de « propriété » ne suffit pas. Les plus pauvres peuvent être acculés à vendre le seul bien qui leur reste : leur terre. Il faut en même temps offrir une rémunération suffisante au travail des paysans en valorisant leur production. C’est pourquoi une loi agraire doit être accompagnée d’une politique agricole digne de ce nom. Tout cela dans la perspective de la souveraineté alimentaire comme le précise l’ECOWAP, la politique agricole de la CEDEAO.

 

 Jacques Lacour
Koudougou, le 10 février 2006

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