Au Sahel : « Allons-nous assister, impuissants, à l’ethnocide, voire au génocide, des éleveurs traditionnels, les peuls ? » |
Au Burkina Faso, comme dans les autres pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, la situation des éleveurs traditionnels, les peuls, est de plus en plus difficile. La population du Burkina double tous les 25 ans, si bien qu’on peut dire que l’espace se rétrécit. Les conflits entre éleveurs et agriculteurs se multiplient. Des communautés s’affrontent avec mort d’hommes, comme dans le sud du pays, il y a quelques temps. Au Nigeria, les éleveurs étant à majorité musulmans, et les agriculteurs chrétiens, les medias ont parlé de guerre de religion. La situation est grave. A tel point, que le Ministère des Ressources Animales du Burkina Faso n’hésite pas à écrire : « Les éleveurs traditionnels risquent de disparaître avec les conditions de plus en plus difficiles d'accès aux ressources pastorales et aux terres de cultures » (Plan d'Actions et Programme d'investissement du secteur de l'Elevage – en abrégé PAPISE - . Révision Draf1 - Novembre 2004). Oui, si rien n’est fait, les éleveurs traditionnels, les peuls, risquent de disparaître. Or, il est possible de faire quelque chose. Dans le même document, nous pouvons lire : « De par son caractère stratégique, le lait constitue le produit à même de servir de levier à la transformation des systèmes de production (bovins surtout) et le niveau de vie des populations pastorales. » Et un peu plus loin : « La filière lait, bien que non compétitive à cause des subventions à l'origine dont bénéficient les produits laitiers importés, reste rentable et stratégique pour le Burkina Faso ». Le lait concentré (sucré ou non sucré) et surtout le lait en poudre entrent librement au Burkina Faso comme dans les huit pays de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest ) , et quasiment sans taxe douanière (le TEC – Tarif Extérieur Commun – de l’UEMOA fixe cette taxe douanière à 5 %). C’est ainsi que, du fait des subventions et du manque de protection, un litre de lait européen reconstitué (à partir du lait en poudre importé) revient à 200 F (0,3 €), alors que le litre de lait produit localement est vendu à 300 F ou 350 F (environ 0,50 €). Ceci explique pourquoi la plupart des yaourts vendus à Ouagadougou sont soit importés directement, soit fabriqués à partir de la poudre de lait importée ! Les éleveurs traditionnels n’arrivent pas à vendre leur lait et ils ne sont pas intéressés à passer d’un élevage extensif, à un élevage intensif. Cette situation pourrait changer radicalement. Pour cela, nous pouvons relever 4 conditions :
C’est à ce prix que la disparition prévisible des éleveurs traditionnels par les lois meurtrières du commerce international pourra être évitée. D'où le titre de ce bulletin : « Allons-nous assister, impuissants, à l’ethnocide, J'ai parlé d'ethnocide et de génocide. J'ai consulté mon dictionnaire : 1) ethnocide n. m. Destruction d'une ethnie sur le plan culturel : l'ethnocide des Amérindiens a souvent abouti à leur clochardisation. L'ethnocide a commencé. Cette semaine, j'étais à Ouagadougou. Je me suis rendu au quartier Hamdalaye de Ouagadougou, et j'ai fait le tour de la mosquée. Elle était entouré de mendiants : des peuls. Donc des hommes qui ne connaissent qu'une activité, l'élevage, et qui sont donc perdus et désoeuvrés en ville. Samedi dernier, en plein coeur de Ouagadougou, juste avant de monter dans ma voiture pour rentrer chez moi à Koudougou, je me suis fait accoster par un mendiant qui demandait l'aumône : c'était un peul. 2) génocide : Crime commis dans l'intention de détruire un groupe humain, national, ethnique, racial ou religieux. Lui n'a pas encore commencé. Mais rien ne dit que nous saurons l'éviter. Déjà en ville, dans bon nombre de milieux, on entend toutes sortes de clichés défavorables aux peuls. La quasi totalité des laiteries de Ouagadougou et de ses environs ne collectent leur lait qu'auprès des éleveurs modernes. Ces entrepreneurs qui ont créé une ferme moderne avec un élevage intensif. Les éleveurs traditionnels sont souvent systématiquement écartés de la collecte de lait pour différents motifs. En milieu rural, la tension monte. Il n'est pas rare qu'un peul privé de bons pâturage laisse son troupeau manger la récolte d'un paysan avant qu'elle ne soit ramassée et mise en lieu sûr. Quand il y a procès, le producteur n'est pas sûr de rentré dans ses droits. A la fin les agriculteurs sont exacerbés et se vengent sur l'ensemble des peuls de la région... Et les conflits se multiplient. Jusqu'ici, l'administration a réussi à calmer le jeux, mais jusqu'à quand ! Quand nous regardons ce qui s'est passé au Rwanda, nous ne comprenons pas comment des hommes ont pu commettre de tels actes. Je souhaite vivement que dans 10 ou 20 ans nous n'aurons pas à nous interroger sur ce qui est arrivé aux peuls du Burkina et/ou dans un autre pays du Sahel. Mais surtout j'invite les responsables des gouvernements africains, de la Banque Mondiale et du FMI, de l'Union Européenne et de l'OMC, des Organisations paysannes du Nord et du Sud, des ONG de Solidarité internationale, des communautés religieuses... à faire preuve de lucidité et de courage politique et de permettre au pays du Sahel de récupérer leur souveraineté alimentaire. Alors, il sera possible d'éviter de nouveaux drames. L'histoire nous jugeras sur ce que nous aurons fait, mais aussi sur ce que nous n'aurons pas fait ! Maurice Oudet |