Les mangues séchées du Burkina, vous connaissez? 

(Article publié dans Demain le Monde, CNCD-Belgique, février 2000)

Filer du mauvais coton….

Selon l'indice de développement humain (IDH) du le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Burkina fait toujours partie des 3 pays les plus pauvres du monde; l'espérance de vie est de 46 ans; 44 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté qui représente, toujours selon le PNUD, 410 FF par an. Quelque 83 % des Burkinabés essaient de vivre de l'agriculture et font, en fait, vivre le pays tout entier car 50 % de ses devises sont fournies par la principale culture de rente, le coton; devises englouties par le service annuel des dettes qui dépasse largement les dépenses d'éducation et de santé cumulées.

La culture du coton se pratique surtout à l'Ouest du pays; elle demande d'énormes quantités de pesticides et requiert beaucoup de main d'œuvre, par ailleurs en général sous-payée.

Mais la principale région du coton est également la principale zone de production de mangues.

… ou produire des mangues séchées?

En effet, le Burkina est riche en mangues. Si riche que chaque année, entre mars et début septembre, sur une production totale de quelque 150 000 tonnes de fruits,

50 000 à 80 000 t pourrissent sur place.

Valoriser cette matière première n'est certes pas la panacée. Mais un projet tel que celui des mangues séchées, distribuées dans le réseau du commerce équitable européen, est une échappatoire à la monoculture du coton. Et bien plus : un modèle de développement durable qui porte ses fruits. Oyez plutôt…

 Un peu d'histoire

Il était une fois un jeune Suisse qui aimait bien grignoter, comme tant d'autres de ses concitoyens, des pommes ou des prunes séchées. Mais voilà il aimait aussi voyager et vivre sa vie loin de son pays. C'est comme ça qu'il se retrouva un beau jour à Ouagadougou au Burkina, à la tête du Centre Ecologique Albert Schweitzer (CEAS), une petite ONG suisse, spécialisée dans les technologies appropriées et plus particulièrement l'utilisation du solaire. Les pommes séchées n'étaient alors plus qu'un doux souvenir… jusqu'au jour, où il fut interpellé par un groupe de femmes du groupement NAAM, à Ouahigouya, au nord du pays, qui s'était lancé dans le séchage de fruits et légumes du pays :

- Les mangues séchées, vous connaissez?

- Pas encore, puis-je les goûter ?

Le résultat de cette dégustation fut si concluant qu'un premier envoi de 100 kg, dans quelques Magasins du Monde en Suisse, laissa un goût de trop peu...

Depuis lors, 10 ans exactement se sont écoulés. Chaque année, une quarantaine de tonnes de mangues séchées peuvent être exportées; elles se vendent un peu partout dans les filières du commerce équitable européen. Au Burkina, cette méthode de conservation de fruits et légumes a fait école. Oignons, patates douces, gombos, haricots, tomates et autres ingrédients de la cuisine burkinabé sont ainsi disponibles même en saison sèche et contribuent, d'une façon décisive, à la sécurité alimentaire de beaucoup de gens.

Un cercle qui se forme

Le groupe de femmes de Basnéré près de Ouahigouya n'est pas resté longtemps seul. D'autres groupes de femmes s'y sont joints, suivis de petites entreprises privées telles que Koalba à Ouagadougou et Mayabouti à Bobo Dioulasso. Au début, le CEAS a coordonné les activités, assuré la qualité, accompagné les groupes pour tout ce qui concerne la production et la commercialisation des fruits et légumes séchés.

Progressivement, toutes ces tâches ont été assumées d'abord par un coordinateur local puis une organisation autonome. En 1992 cinq groupes se sont associés dans le Cercle Des Sécheurs (CDS), en optant pour la structure juridique d'un Groupe d'Intérêt Economique (GIE); en 1995, ils ont également obtenu une licence d'exportation. Deux ans plus tard, le CDS a pu s'installer dans un petit immeuble à Ouagadougou, construit, en grande partie, grâce aux bénéfices du commerce équitable.

Jusqu'à présent, le projet des mangues a créé une source de revenus pour plus de 600 personnes travaillant aussi bien dans le secteur des fruits frais que dans les unités de séchage, dont 80 % de femmes. En 45 jours de travail elles gagnent plus que 410 FF, ce qui dépasse le revenu annuel de quelqu'un qui se situe juste au seuil de pauvreté.

Pas étonnant, dès lors, que les demandes d'adhésion fusent! En peu de temps, le Cercle s'est élargi considérablement.

… se recentre

Toutefois, afin d'éviter que des firmes privées exclusivement commerciales ne viennent corrompre le projet, le CDS, en 1996, introduit le statut de "membres" et d'"usagers".

Dorénavant, seuls les groupes de femmes organisés démocratiquement, et dont l'activité principale est le séchage, peuvent devenir membres ayant droit de vote lors des assemblées générales. Et seuls les membres et les groupes de femmes présélectionnés ont droit au préfinancement du commerce équitable. Les usagers ont accès aux infrastructures et conseils du CDS, mais ne participent à aucune décision.

Actuellement, le CDS compte, dans plusieurs régions du Burkina, 9 membres, 6 groupes de femmes "stagiaires" ainsi que 4 usagers. La plupart des groupes de femmes font partie de la fédération des groupements NAAM* qui visent, entre autres, à soutenir la promotion des femmes dans le domaine social et économique.

… et s'élargit, même au-delà des frontières!

Soucieux de contribuer à l'amélioration des conditions de vie en Afrique, le CDS ne travaille pas en huis clos. Plusieurs groupes venant de pays frontaliers ont été initiés au séchage. Ainsi l'organisation béninoise "Aide Technique Bénévole au Développement" a pu lancer en 1997, grâce à quatre délégués formés par le CDS, le premier Centre de Séchage de Fruits Tropicaux (CSFT) du pays. Plus de 9 tonnes d'ananas séchés ont déjà pu être écoulées dans des Magasins du monde de Suisse et de France.

Perspectives

Au début, les mangues étaient séchées exclusivement dans des séchoirs solaires. Quelle aubaine dans un pays si généreusement ensoleillé, et pour une organisation telle que le CEAS, fier, à juste titre, de ses inventions solaires! Mais en 1992, la contamination quasi totale de la livraison par la vermine a révélé les faiblesses de cette technique. On recourut donc aux séchoirs à gaz, plus aptes à assurer un séchage continu, relativement rapide, qui ne favorise pas l'éclosion de parasites. Depuis quelque temps, le CEAS planche sur une combinaison gaz/solaire. En attendant, la production pour la consommation locale continue d'utiliser le solaire; celle destinée à l'exportation recourt au gaz.

Depuis 1996, le CDS se tourne vers la production biologique, à savoir l'achat de fruits frais provenant de vergers non traités et la production de fruits secs sans soufre. En 1999, 18 vergers appartenant à des groupes de petits paysans de l'ouest du pays ont été certifiés par Ecocert International. La production des mangues certifiées a été confiée, pour l'heure, à trois membres: les deux groupes de femmes NAAM de Dogori (près de Bobo Dioulasso) et de Tensiya (entre Bobo et Banfora) ainsi que l'entreprise privée Mayabouti à Bobo.

La capacité de production ne pose aucun problème… Le recrutement de nouveaux membres non plus. Le CDS a fait ses preuves; il poursuit des objectifs de développement durable et prend clairement position en faveur des populations défavorisées.

Qui dit mieux?

Elisabeth Piras

* Les groupements NAAM constituent une des principales organisations paysannes du Burkina; leur structure se base sur celle de la tradition villageoise des NAAM-Kombi, autrement dit sur le travail collectif et l'entraide. En Belgique, la Fédération des Unions des groupements NAAM (FUGN) est soutenue par OXFAM-Solidarité. Cette ONG appuie également quatre autres organisations paysannes du Burkina, la fédération Wend-yam, l'UGV de Sapouy, l'Union Ton de Niangoloko, ainsi que la FENOP, qui à son tour compte parmi ses membres deux groupes affiliés au CDS : la "Coopake" de Kénédougou et le "Groupement des femmes de Niangoloko".

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