La pointe de... l'asperge!
«La présente crise alimentaire, a prévenu Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, aura pour effet d'occasionner une perte de l'ordre de sept ans dans les efforts visant à réduire la pauvreté à l'échelle mondiale.» Quelques jours plus tard, Ban Ki-Moon, secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU), lui emboîtait le pas, lançant un appel à la mobilisation internationale contre la crise mondiale des aliments.
Les prix du maïs, du riz et du blé atteignent en effet des sommets. Dans l'ensemble, estime la Banque mondiale, les prix alimentaires mondiaux ont augmenté de 83%, ces trois dernières années. À lui seul, le prix du riz a bondi de 75% en deux mois à peine!
Dans les circonstances, on a vite fait de comprendre la cause de toutes ces émeutes dans des pays où une large partie de la population dépense de 50 à 80% de son revenu pour se nourrir. Nous n'y consacrons que quelque 10 à 15% dans les pays occidentaux, en guise de comparaison.
Que s'est-il donc passé?
Tous ces ventres affamés craignent pour le plus élémentaire des besoins : leur sécurité alimentaire. Que s'est-il donc passé pour en arriver là? La mondialisation des échanges et la croissance économique qui l'accompagne n'auraient-elles pas dû placer la planète à l'abri de tels phénomènes?
Au-delà des explications couramment invoquées ces derniers temps, il se pourrait fort bien que nous commencions à toucher aux limites de la production alimentaire mondiale, que la planète «mange» davantage qu'elle ne produit, surtout avec l'augmentation en flèche de la consommation alimentaire dans les pays dits émergents — Inde, Chine — et la réduction inexorable des surfaces cultivables à l'échelle du globe.
La vérité, c'est qu'après 30 ans d'abondance et de bas prix, nous entrons de plus en plus dans une économie de la rareté. Certains ont même l'odieux d'en profiter en spéculant sur les denrées de base nécessaires à la vie! Un autre des multiples facteurs de cette crise. Tout cela, avouons-le, n'a rien de très rassurant quand on sait qu'il faudrait doubler la production agricole de la planète pour nourrir les neuf milliards d'êtres humains qui la peupleront en 2050!
L'échec de la Banque mondiale
Le mot d'ordre de la Banque mondiale auprès des pays en développement s'est quant à lui révélé un échec. Les inciter à remplacer les cultures vivrières par des exportations afin d'en retirer les devises pour acheter les aliments qu'ils ne produisent pas a contribué à la déstructuration de leur agriculture et à l'exode rural. Après la misère des campagnes, celle des bidonvilles pour des agriculteurs doublement floués!
Devant autant de pays qui ont dû renoncer à leur agriculture et, ce faisant, à leur capacité de nourrir leur propre population, un dur constat d'échec s'impose et, avec lui, une sérieuse remise en question de nos politiques d'aide et, plus encore peut-être, de nos pratiques commerciales.
Dans son cri d'alarme, Robert Zoellick en a appelé à une «nouvelle donne» de la politique alimentaire internationale. De son côté, Jean Ziegler, rapporteur spécial de l'ONU, déclarait que l'agriculture doit être subventionnée dans des secteurs où elle assure la survie des populations. L'UNESCO, quant à elle, soulignait l'«urgence» de changer les règles de l'agriculture mondiale, «le statu quo n'étant plus une option».
L'orthodoxie de la mondialisation et de l'OMC en prend pour son rhume !
C'est ce qui arrive, a-t-on envie de dire, quand on traite l'agriculture au même titre que n'importe quel bien commercial. Son affaiblissement est source de déséquilibre et de tensions sociales. L'agriculture n'est pas un bien comme les autres, c'est un «bien» de première nécessité.
Pour remédier à cette crise, il faut absolument redynamiser les agricultures locales sur la base de leurs spécificités avec des politiques intérieures qui procurent aux agriculteurs et agricultrices une juste rémunération et qui permettent aux populations de bien se nourrir.
«L'agriculture vivrière doit être encouragée. Elle doit être protégée, n'ayons pas peur des mots, contre une concurrence débridée des produits d'importation qui déstabilisent l'économie de ces pays et découragent les producteurs locaux», déclarait récemment l'ancien président français Jacques Chirac, en réaction aux événements.
Ce n'est donc sûrement pas en allant plus loin dans l'ouverture des marchés, comme le préconisent l'OMC et les tenants à tout crin du néolibéralisme, qu'on pourra y parvenir.
De fait, la dure réalité de toutes ces émeutes de la faim confirme bel et bien que les règles existantes doivent changer et qu'il est temps de mettre la sécurité et la souveraineté alimentaire à l'ordre du jour du commerce international, sinon l'humanité n'a pas fini de crier famine.
Christian Lacasse
Président de l'Union des producteurs agricoles du Canada
Le samedi 19 avril 2008
dans Cyberpresse.ca