2° Forum Social Mondial
Porto Alegre, 31 janvier au 5 février 2002
par Jacques Berthelot, Solidarité *
Il est totalement irréaliste de penser que les pays occidentaux, qui disposent de régimes démocratiques et de syndicats agricoles puissants, pourraient cesser jamais de soutenir leurs agriculteurs et leur agriculture. Il suffit de prendre acte de la multiplication par quatre des aides directes reçues par les agriculteurs des Etats-Unis (EU) de 1996 à 2000, en dépit du FAIR Act. Cette observation s'applique aussi aux aides directes de l'Union européenne (UE) qui, après application de la réforme de la PAC de mars 1999, représentent en France 126% du revenu net des producteurs de céréales et 129% de celui des producteurs de viande bovine (hors effet vache folle).
Le problème à résoudre est le suivant : quel type de soutiens doit-on préconiser pour le nouvel Accord sur l'Agriculture (AoA) en cours de renégociation depuis mars 2000, qui soit le moins dommageable pour le reste du monde et, simultanément, le plus adapté à la promotion de systèmes de production (socialement et environnementalement) durables et qui prenne en compte les préoccupations non commerciales (PNC), la multifonctionnalité? La réponse est immédiate, même si elle fera bondir les tenants de la théorie dominante du commerce international (agroalimentaire) : la protection à l'importation est le seul type de soutien à ne pas avoir d'effet de dumping sur le reste du monde, et notamment sur les pays en développement (PED), et qui soit accessible à ceux-ci. C'est aussi le seul moyen de conserver des politiques agricoles basées sur les signaux du marché, c'est-à-dire sur les prix -mais sur les prix intérieurs et non sur des prix mondiaux sans signification économique-, alors que, au nom de la libéralisation des marchés, les pays occidentaux sont en train de transformer leurs agriculteurs en quasi-fonctionnaires.
Pour le comprendre, il faut réviser complètement les définitions des concepts centraux relatifs aux échanges, notamment ceux extrêmement piégés tels que "bien-être économique", "protection", "distorsion", "prix mondiaux", "dumping", "découplage" et "traitement spécial et différencié". On soulignera ensuite les énormes privilèges et tricheries des pays occidentaux qui décrédibilisent totalement leur discours sur la nécessaire libéralisation des politiques agricoles. Enfin, on montrera que les principales objections à l'instauration de la protection à l'importation comme base d'un nouvel AoA équitable ne sont pas fondées.
I – Les concepts de base utilisés dans les négociations agricoles sont extrêmement piégés
"Bien-être économique" : tel qu'il est défini par la théorie statique et simpliste des échanges, ce concept est extrêmement myope en affirmant que le libre-échange permet d'accroître le bien-être global car le surplus des consommateurs y augmente plus que ne baissent les surplus des producteurs et des contribuables. D'où les prévisions faites en 1993 par la Banque mondiale et l'OCDE d'une hausse de 213 milliards de $ du bien-être mondial en 2005, après pleine application de l'AoA. D'où encore la prévision australienne d'une hausse de 150 milliards de $ du bien-être mondial après élimination par le prochain AoA de toutes les formes de protection agricole. Ces assertions présentent deux failles majeures.
En premier lieu, la baisse des prix à la production est très rarement répercutée sur les consommateurs. Ainsi, en dépit d'une baisse de 35% du prix d'intervention des céréales de 1993 à 1995, la Cour des Comptes européenne souligne en 1999 que "aucune baisse significative des prix payés par le consommateur final n'a pu être constatée (pour le pain par exemple) ou n'a pu être clairement rattachée à celle du prix des céréales (viandes bovine et porcine). La charge financière assumée par le contribuable a donc été accrue de façon considérable sans que le consommateur ne puisse en retirer un réel bénéfice". De même, aux EU, le panier alimentaire de référence a augmenté de 2,8% en dollars constants de 1986 à 1998 alors que la valeur des produits agricoles inclus a baissé de 35,7% (USDA). Et J. Morisset a montré que "sur tous les principaux marchés de biens de consommation… l'élasticité de transmision a toujours été bien supérieure, en moyenne 3,4 fois plus, quand les prix mondiaux étaient à la hausse qu'à la baisse. Toute baisse des prix mondiaux du sucre et de la viande de bœuf a peu de chance d'être répercutée dans les prix aux consommateurs, tandis que les baisses des prix du pétrole et du café sont transmis mais beaucoup moins que les hausses… Si les hausses sont parfaitement répercutées mais que les baisses ne le sont pas, l'écart entre les prix mondiaux et intérieurs s'accroîtra avec le temps ".
De plus, ce type de raisonnement évacue complètement, non seulement les effets dynamiques du libre-échange sur les pays moins compétitifs, mais aussi les PNC, c'est-à-dire les effets externes du libre-échange sur la sécurité alimentaire quantitative et qualitative, l'emploi, l'environnement, l'occupation du territoire, les paysages ruraux et le bien-être animal
"Protection" : au sens large, toute mesure dont l'effet final est d'accroître la compétitivité des produits nationaux relativement aux produits étrangers est une forme de protection. Par conséquent, la protection à l'importation et même les subventions à l'exportation ne constituent qu'une petite partie des mesures protectionnistes, lesquelles englobent tous les types de soutiens internes (y compris non financiers) : les soutiens agricoles (de toutes les couleurs : orange, bleue, verte) comme les soutiens non agricoles (de la "boîte en or", voir plus loin). Il faut donc rester très serein lorsque l'homme de la rue, les économistes bien pensants et les politiciens ignorants agitent le mot "protectionnisme" comme un épouvantail à l'encontre de ceux défendant la protection à l'importation. On doit aussi être très sceptique lorsqu'on entend Pascal Lamy proclamer que "le protectionnisme, tout comme la corruption d'ailleurs, fleurit rarement au soleil". Il va de soi que, pour lui, les aides directes européennes de la boîte bleue ne sauraient être considérées comme du protectionnisme camouflé!
"Distorsion" : ce terme -comme celui de protection- est aussi utilisé par les pays occidentaux pour effrayer l'homme de la rue et même les diplomates. Ainsi, dans les deux premières pages de la communication du 23 juin 2000 des EU au Comité de l'agriculture de l'OMC, le terme "distorsion" est répété 15 fois! On ne doit pas définir les instruments distorsifs (protectionnistes) comme ceux modifiant les signaux du marché, en accroissant l'écart entre prix intérieurs et prix mondiaux. Non! Les instruments réellement distorsifs (protectionnistes) sont ceux qui sont -et ont été depuis de longues décennies- à la portée de seulement quelques pays -les pays occidentaux opulents-, et hors de portée de la majorité des pays, les PED. La protection à l'importation est en ce sens l'instrument le moins distorsif alors que les soutiens budgétaires (subventions à l'exportation comme soutiens internes de toutes les couleurs) le sont beaucoup plus puisqu'inaccessibles de fait aux pays pauvres.
De plus, contrairement à la hiérarchie des aides en vigueur, les soutiens internes les plus distorsifs ne sont pas ceux présentés comme tels : les soutiens découplés de la boîte verte le sont plus que les soutiens couplés de la boîte orange, pour deux raisons. Par suite de leurs faibles ressources budgétaires, les PED donnent la priorité aux soutiens oranges qui ont un effet plus direct et rapide sur la production et les prix que ceux de la boîte verte. Ensuite parce que les soutiens de la boîte orange sont utilisés pour maintenir les prix intérieurs au dessus des prix mondiaux et sont donc compatibles avec un objectif d'autosuffisance agroalimentaire sans exportations, tandis que les soutiens bleus et verts permettent d'abaisser les prix intérieurs au dessous des coûts de production effectifs et même de les aligner sur les prix mondiaux, avec un effet de dumping évident.
"Prix mondiaux" : comment peut-on affirmer qu'il s'agit des "vrais"prix sur lesquels l'on doit aligner les prix agroalimentaires intérieurs quand on sait que :
1) Moins de 10% de la production mondiale des principaux produits agricoles sont échangés sur le marché mondial : 10,0% pour l'ensemble des céréales de 1995 à 1998, 8,2% pour l'ensemble des viandes et 6,4% pour tous les produits laitiers.
2) En outre, le prix mondial ne résulte même pas de la confrontation sur le marché mondial de ces faibles quantités. C'est seulement le prix à l'exportation du pays le plus compétitif : par exemple, le prix mondial des produits laitiers est celui de Nouvelle-Zélande, dont la production de lait n'a pourtant représenté que 1,9% de la production mondiale de 1995 à 1998; et le prix mondial du blé est celui des EU, dont la part de la production mondiale se limite à 5,1%.
3) Ces prix mondiaux sont extrêmement volatils : le prix moyen du blé (HRW, FOB Golfe du Mexique) s'est élevé de 142,5 $ la tonne en 1993 à 215,4 $ en 1996 avant de chuter à 114 $ en 1999.
4) Ce sont des prix de dumping compte tenu des énormes subventions (explicites et implicites) à l'exportation qu'ils incorporent de la part des principaux pays occidentaux, et ce à tous les niveaux (production, transformation, commercialisation, etc).
5) Ils sont manipulés dans l'espace et dans le temps par les multinationales en position d'oligopoles et qui cumulent le plus souvent les positions de vendeurs et d'acheteurs dans la plupart des pays.
6) Ils sont aussi manipulés par les monopoles d'Etat : même l'UE les manipule en différenciant ses subventions à l'exportation en fonction des pays de destination. Et les EU font de même pour leurs garanties de crédits à l'exportation.
"Dumping" : contrairement à toute rationalité économique et à tous les manuels d'économie, le GATT dès sa création en 1947 a permis de définir le dumping comme la vente au dessous du prix du marché intérieur et pas seulement comme celle au dessous du coût de production (article 9.1.b de l'AoA, reprenant l'article 6.1.a de l'Accord du GATT 1994). Cette escroquerie de grande volée est à la base des réformes de la PAC de 1992 et 1999, qui ont réduit de 46% le prix d'intervention des céréales, tombé à 101,31 € la tonne (t), un niveau proche du prix mondial mais très inférieur au coût de production du blé français -l'un des plus compétitifs de l'UE- qui se situe entre 152 et 168 €/t, l'aide directe de 63 €/t comblant la différence et ayant permis à l'UE d'exporter depuis le second semestre 2000 une grande partie de son blé et de son orge formellement sans restitution à l'exportation, mais non sans dumping de fait.
"Soutiens découplés" : c'est la mystification suprême de l'AoA. Car tous les soutiens, y compris ceux de la boîte verte à caractère collectif, procurent des avantages compétitifs aux agriculteurs des pays qui les octroient. Parce que ces soutiens de la boîte verte ont pour effet soit de réduire les coûts de production, soit d'aider les agriculteurs à conquérir de nouveaux marchés, soit d'accroître leurs revenus, soit de compenser leurs pertes. Ce sont autant de formes différentes de protection.
En réalité, les soutiens bleus et verts sont même plus distorsifs que les subventions explicites à l'exportation qui sont plus transparentes pour les pays étrangers et autorisent des mesures anti-dumping. Par exemple, si les subventions explicites à l'exportation de l'UE sur les céréales ont baissé de 2,2 milliards d'écus en 1992 à 883 millions d'€ en 1999, les aides directes aux producteurs de céréales sont passées dans le même temps de 0 à 12,8 milliards d'€. Pour les 34 millions de t subventionnées à l'exportation en 1999-2000 (correspondant à 16,42% des 207 millions de t produites en 1998-99), les aides directes ont été de 2102 millions d'€. En les ajoutant aux restitutions, les subventions réelles totales à ces exportations ont représenté 2985 millions d'€ en 1999, soit 36% de plus que les restitutions de 1992 et équivalant à 129,3% de leur valeur à l'exportation au prix mondial. C'est l'une des raisons -avec les énormes aides directes supplémentaires versées aux agriculteurs américains- expliquant pourquoi le prix du blé est resté si bas depuis 1998. Après la nouvelle baisse de 7,5% intervenue le 1er juillet 2001 dans le prix d'intervention des céréales, mettant le blé et l'orge de l'UE au niveau des prix mondiaux, l'UE proclame qu'elle est désormais compétitive pour ces deux céréales puisqu'elles les exportent au prix mondial sans restitutions. C'est un énorme mensonge puisque les aides directes aux producteurs européens de céréales se sont accrues et sont donc désormais de 63 euros par tonne.
II – Les énormes privilèges et tricheries des pays occidentaux décrédibilisent totalement leur discours sur la nécessaire libéralisation des politiques agricoles
On analysera trois points : le privilège de la "boîte en or", le fait que le soi-disant "traitement spécial et différencié" accordé aux PED joue en fait au profit des pays riches et enfin les énormes tricheries de l'UE et des EU dans leurs notifications à l'OMC.
L'oubli de la "boîte en or" : seuls les agriculteurs occidentaux bénéficient gratuitement (au moins dans la plupart des pays occidentaux) d'énormes et très nombreux avantages structurels non agricoles, non pris en compte dans la typologie des soutiens agricoles élaborée par l'OCDE et transférée dans l'AoA, que l'on peut placer dans une cinquième type de boîte, la "boîte en or", parmi lesquels :
1) Un environnement économique global caractérisé par une croissance continue du PIB réel à long terme, ce qui est très favorable aux agriculteurs.
2) Toutes sortes d'infrastructures économiques et sociales très efficientes, dont : des moyens de communication matériels et intellectuels, une recherche publique et des systèmes éducatif et de santé pris en charge par la collectivité.
3) Des institutions publiques efficientes et démocratiques, avec Etat de droit et organisation judiciaire fiable, qui fait notamment respecter les contrats commerciaux.
4) Un contexte relativement concurrentiel pour les affaires. Accès notamment de tous les agriculteurs et industries agroalimentaires au crédit bancaire à des taux d'intérêt faibles.
5) Des ménages non agricoles au pouvoir d'achat élevé et toujours croissant.
6) Des conditions agro-climatiques largement plus favorables que dans les PED, y compris en termes de santé humaine, végétale et animale, etc.
A placer surtout dans la "boîte en or" le fait que la compétitivité supérieure actuelle des produits agroalimentaires occidentaux résulte non seulement des soutiens agricoles et non agricoles actuels mais, dans une très large mesure, de tous ceux dont ils ont bénéficié dans le passé, depuis de nombreuses décennies voire des siècles.
Le plus grand paradoxe de ce discours mystificateur sur les avantages à attendre de marchés agroalimentaires plus libéralisés est que, pour obtenir sur les marchés intérieurs ces "vrais" prix mondiaux censés prévaloir dans un contexte de libre-échange, les pays occidentaux doivent soutenir massivement les revenus agricoles par des soutiens découplés! En réalité, le découplage n'existe pas : ceux qui reçoivent ces aides directes découplées ne sont ni les chômeurs ni les autres exclus mais bien ceux détenant les droits de propriété ou d'exploitation sur les facteurs de production agricole (terres et cheptel). Et une littérature de plus en plus abondante montre que ces soutiens découplés sont bien plus distorsifs sur le marché intérieur lui-même que les soutiens couplés, notamment en renchérissant le prix des terres.
"Traitement spécial et différencié" (TSD) : en dépit des gesticulations oratoires des pays occidentaux et de l'OMC sur le TSD accordé aux pays pauvres, la réalité est diamétralement opposée : le TSD joue très nettement à l'avantage des pays riches. Le fait que les PED n'aient à réduire leurs soutiens que des 2/3 de ce que doivent faire les pays développés et qu'ils bénéficient à cette fin de 4 ans de plus ne suffit pas pour en déduire que le TSD joue en faveur des PED, en particulier si l'on tient compte des faits suivants :
1) Les pays occidentaux, qui représentent moins de 1/6 de la population mondiale, octroient plus de 90% des subventions à l'exportation ainsi que des soutiens internes (ensemble des boîtes). Le tarif moyen appliqué par les premiers sur les principaux produits agricoles (céréales, viandes, produits laitiers) est au moins le double de ce qu'il est dans les PED (environ 40% contre 20%). Les pays industrialisés ont de fait le monopole de la CSS (clause de sauvegarde spéciale), ouverte seulement aux pays ayant "tarifé" leurs protections à l'importation. Et cette clause a été utilisée 399 fois par les EU et l'UE de 1995 à 1999.
2) La boîte orange ne joue, en fait, que pour les pays occidentaux puisque seulement 10 PED (et 6 PECO) ont notifié une MGS (mesure globale de soutien, c'est-à-dire des soutiens internes couplés) pour 1995-96 et 1996-97. Et, comme l'écrasante majorité des PED soit n'ont pas notifié de MGS, soit ont notifié une MGS nulle, ils ne pourront dépasser à l'avenir le plafond de la clause de minimis pour leurs aides internes couplées (article 7.2.b), alors même que les pays industrialisés pourront accorder jusqu'à 80% de leurs soutiens oranges de la période de base 1986-88. Et cette restriction s'applique même aux PMA (pays les moins avancés), bien qu'ils soient exemptés de toute réduction de leurs soutiens.
3) L'article 8 de l'annexe 3 de l'AoA stipule que les paiements budgétaires versés pour maintenir l'écart entre le prix de référence fixe de la période de base 1986-88 et le prix administré appliqué, tels que les coûts d'achat public à l'intervention et de stockage, n'ont pas à être inclus dans la MGS. C'est pourquoi l'UE n'a pas notifié le 1,5 milliard d'écus dépensés en 1998 pour ses coûts d'achat et de stockage à l'intervention, même si la plupart de ces stocks ont été ensuite déversés à prix de dumping sur le marché mondial. Par contre, la note 5 à cet article 3 précise bien que pour "les programmes gouvernementaux de détention de stocks à des fins de sécurité alimentaire dans les pays en développement… la différence entre le prix d'acquisition et le prix de référence extérieur est prise en compte dans la MGS". Cette disposition est très dommageable pour la Chine et l'Inde puisque leurs énormes stocks de blé et de riz aux fins de sécurité alimentaire ont été achetés ces dernières années à des prix intérieurs bien supérieurs aux prix mondiaux.
4) Puisque la plupart des PED ayant une MGS positive l'ont notifiée en monnaie nationale, leur taux d'inflation très supérieur à celui des pays riches -pour des raisons structurelles bien connues- a eu pour effet de relever beaucoup leurs MGS spécifiques aux prix courants et donc aussi l'écart avec le prix mondial de référence des années 1986-88, si bien que leurs MGS ont atteint voire dépassé rapidement le plafond de leurs engagements.
5) Alors que la clause de minimis est censée favoriser les PED -puisqu'elle peut y atteindre 10% de la valeur ajoutée agricole contre 5% dans les pays industrialisés-, ils n'ont pas les moyens budgétaires d'en profiter. Par contre la clause légitimise ces soutiens oranges (distorsifs), infiniment supérieurs, des pays occidentaux. En effet, la valeur ajoutée agricole par actif de l'OCDE à 24 est d'environ 60 fois (40 000 $ en 1999) supérieure à celle des PED (641 $ en 1995). Finalement, cette clause de minimis a permis aux EU et à l'UE de ne notifier aucune MGS non spécifique, au motif qu'elle est restée inférieure au plafond des 5% de leur valeur ajoutée agricole. Mais ceci n'a été possible que parce que les deux complices ont triché dans une large proportion dans leurs notifications à l'OMC (voir ci-dessous).
6) L'AoA n'autorise pas de MGS négative, alors qu'elle le serait très souvent dans les PED. Ils n'ont pas le droit d'en déduire les lourdes taxes à l'exportation pesant sur leurs agriculteurs, au prétexte qu'il s'agit de mesures à la frontière (non concernées par la MGS). En outre les taxes à l'exportation sont sévèrement condamnées par l'OMC au motif qu'elles réduisent la production et accroissent donc les prix mondiaux. Par contre l'article 4 de l'annexe 3 stipule que "les prélèvements ou redevances agricoles spécifiques payés par les producteurs seront déduits de la MGS", puisque ces prélèvements sont considérés comme des soutiens internes (négatifs). Ainsi, l'UE a pu déduire annuellement en moyenne 462 millions d'écus sur sa MGS de 1995-96 à 1998-99, correspondant à environ la moitié (47%) des cotisations totales des producteurs de betteraves et usines sucrières, alors même que la plupart de ces cotisations servent à autofinancer les subventions à l'exportation de sucre (le reste à financer les coûts de stockage du sucre)!
Comment le couple de complices EU-UE, qui ont élaboré l'AoA en fonction de leurs intérêts, ont triché sur une large échelle dans leurs notifications à l'OMC
Il y a des faits essentiels que même l'OMC ignore : en engageant des poursuites à l'OMC contre plusieurs PED et PECO et en se plaignant en permanence qu'ils violent leurs engagements d'ouvrir leurs marchés et de réduire leurs soutiens couplés, l'UE et les EU laissent entendre qu'ils sont les plus respectueux de leurs propres engagements. La triste vérité est que ces donneurs de leçons ont triché à une large échelle dans leurs notifications à l'OMC.
1) Tricherie sur les MGS spécifiques : une des raisons découle du flou de la méthode préconisée pour calculer le soutien couplé par produit. Cette méthode n'a aucun sens économique puisque la MGS est calculée comme l'écart entre le prix mondial de la période de référence 1986-88 -et non le prix mondial courant- et le prix administré courant, multiplié par la quantité concernée par ce prix administré. Les pays ont en fait utilisé différentes méthodes de calcul. Par exemple, pour la MGS des produits laitiers, l'UE a sous notifié très légalement environ 10 milliards d'écus en 1997 (en appliquant l'écart des prix à la quantité limitée des produits laitiers directement visée par les prix administrés -le beurre et la poudre de lait écrémé-, quand bien même c'est le prix de l'ensemble des produits laitiers qui est indirectement soutenu), tandis que les EU ont effectivement triché d'environ 3,3 milliards de $ en 1997 (en utilisant un prix mondial de référence du lait supérieur au prix mondial effectif de la période 1986-88).
Mais ce couple de complices a surtout sous notifié ou pas notifié du tout un grand nombre de soutiens relevant de la MGS non spécifique.
2) Les réductions de taxes sur le carburant agricole ne sont pas notifiées alors qu'il s'agit du poste le plus important des "soutiens aux intrants variables" déclarés par les EU à l'OCDE (2385 millions de $ en 1997). Ce poste compte aussi pour 403 millions d'écus pour la seule Allemagne en 1998 au sein de l'UE.
3) Les EU n'ont notifié que 119,5 millions de $ en 1997 comme soutiens aux assurances agricoles (hors calamités, qui sont dans la boîte verte) mais il est facile de vérifier, à partir des dépenses réelles du budget de l'USDA, que le soutien effectif a été d'au moins 1 milliard de $ en 1997, et qu'il a atteint 1,8 milliard en 1999 et bien plus en 2000. En outre ce soutien aux assurances aurait dû être placé dans les MGS spécifiques. De son côté, l'UE n'a notifié que 102 millions d'écus sur ce poste, ce qui est clairement sous évalué compte tenu de son importance dans des pays comme l'Espagne et l'Italie.
4) Les sous notifications de l'UE concernent surtout d'autres postes : alors que le soutien à l'irrigation est le poste le plus important de la MGS non spécifique des EU (349 millions de $ en 1997), l'UE ne le mentionne même pas bien qu'il soit très important à nouveau en Espagne et Italie. En France il a été d'environ 61 millions d'écus en 1997.
5) Les bonifications d'intérêts -599 millions d'écus, soit 84% de la MGS non spécifique de l'UE en 1997- sont très clairement fortement sous notifiées puisque, pour la France seule, elles ont atteint 501 millions d'écus. Et l'Allemagne a dépensé à ce titre 350 millions d'écus en 1998 (y compris avec les subventions à l'investissement). De même, dans ses dernières notifications à l'OMC pour 1998-99, l'UE a notifié 312,5 millions d'€ pour ses bonifications d'intérêt alors que les seules bonifications d'intérêt de la France ont atteint 329 millions d'€ en 1999. Le représentant de l'UE à la Commission agricole de l'OMC a affirmé en octobre 1998 que les subventions sur les taux d'intérêt et les investissements des exploitations avaient été inclus dans la boîte verte (pour 4971 millions d'écus) parce que ces investissements n'étaient liés ni à une production spécifique ni aux prix. Cette assertion est irrecevable car chacun sait que, dans l'UE, les exploitations et leurs investissements sont de plus en plus spécialisés. Surtout, puisque l'article 6.2 stipule que "les subventions à l'investissement qui sont généralement disponibles pour l'agriculture dans les pays en développement Membres…seront exemptées des engagements de réduction du soutien interne qui leur seraient autrement applicables", cela implique très clairement qu'elles ne le sont pas pour les pays industrialisés.
6) On doit déduire du même article et de l'article 4 de l'annexe 4 que "les mesures visant les transformateurs agricoles seront incluses, dans la mesure où elles apportent des avantages aux producteurs des produits agricoles initiaux" et l'article 13 de l'annexe 3 ajoute que, dans les "autres mesures non exemptées", il y a "les mesures de réduction de coût de la commercialisation". Par conséquent tous les soutiens aux industries agroalimentaires et à la commercialisation auraient dû être notifiées dans la MGS (spécifique ou non spécifique), mais aucun de nos deux compères ne l'a fait. Or, pour la seule France, ces soutiens aux industries agroalimentaires (au titre du règlement communautaire 951-97) ont atteint une moyenne annuelle de 225 millions d'écus de 1994 à 1999 (et ce type de soutien a été en vigueur depuis 1960).
7) Enfin, aucune réduction fiscale (autre que sur le carburant, dont a déjà parlé) n'a été notifiée, quand bien même les réductions émanent le plus souvent des budgets des Etats membres. Plus généralement il y a une large sous notification des soutiens accordés aux niveaux infra communautaires (nationaux et régionaux).
L'UE a aussi triché sur ses notifications de subventions à l'exportation, mais dans une mesure bien moindre que pour les soutiens internes couplés. Par exemple, l'UE a sous notifié ses subventions à l'exportation de céréales secondaires pour environ 129 millions d'écus en 1998-99. Elle a aussi élaboré un maquillage juridique complexe -qui n'a pas échappé à de nombreux Etats membres de l'OMC- pour exporter des fromages fondus en dépassant le plafond autorisé de ses subventions aux exportations.
II - Les objections à la non-viabilité d'une protection à l'importation comme base du nouvel Accord sur l'agriculture ne sont pas fondées
Si le principal obstacle à la refondation de l'AoA sur le principe de la protection à l'importation -de la souveraineté alimentaire- comme forme de soutien le moins protectionniste et le plus solidaire réside dans l'allergie de la majorité de l'opinion (notamment des économistes) à cette idée, trois objections de fond sont à lever : 1) une protection agricole accrue à l'importation au Nord serait contraire aux intérêts des PED; 2) une protection agricole accrue au Sud serait insupportable pour leurs consommateurs pauvres; 3) une protection accrue à l'importation ferait retomber la PAC dans ses dysfonctionnements productivistes d'avant 1992.
Une protection accrue à l'importation au Nord serait contraire aux intérêts des PED et des exportateurs compétitifs du Groupe de Cairns
La principale revendication des PED à l'OMC est la baisse des protections au Nord -notamment à l'importation- de manière à gagner les devises indispensables pour leurs importations, notamment alimentaires, et pour rembourser leurs dettes extérieures. Pourtant, si des exportations accrues en général des PED se justifient pour combler ces déficits, des exportations agroalimentaires accrues vers le Nord ne bénéficieront pas à leurs petits paysans et consommateurs. Cette stratégie déjà ancienne s'est soldée par un déficit agroalimentaire et un endettement accrus. Ainsi, bien que la part des pays du Sud dans les exportations agroalimentaires mondiales soit passée de 30% en 1974 à 34% en 1997 -ce qui traduit effectivement leur plus grande insertion dans les échanges mondiaux-, leur part dans les importations mondiales a augmenté bien plus, de 28% à 37%, si bien que, de positif, le solde de ces échanges est devenu négatif de 13 milliards de $ (et la majorité des PED sont donc désormais "importateurs nets de produits alimentaires"). En particulier le déficit alimentaire des PMA a augmenté de 60% de 1994 (1,6 milliard de $) à 1998 (2,6 milliards de $). Ces exportations profitent essentiellement aux multinationales et à une minorité de gros exploitants. Au fur et à mesure que des facteurs de production supplémentaires (terres, capital et fonds publics) sont affectés aux productions d'exportation, les petits paysans sont marginalisés, les productions vivrières sont délaissées et leurs prix montent, au détriment des consommateurs pauvres. Et la concurrence entre PED pour les marchés des pays industrialisés accélérerait le déclin des prix agricoles réels, d'autant que la demande occidentale stagne (la population y stagne voire diminue et vieillit). Le résultat final est prévisible : des balances des paiements encore plus déficitaires et un endettement accru, notamment pour renforcer leurs capacités exportatrices. Les gouvernements eux-mêmes -qui espèrent ainsi obtenir des devises supplémentaires- perdront leur pari, ce qui n'empêchera pas certains dirigeants corrompus de tirer les marrons du feu.
Les gros gagnants de ces échanges agroalimentaires accrus seront, comme toujours, les multinationales occidentales et les institutions internationales à leur service (FMI, BM, OMC). Mais ces multinationales victorieuses ne se limiteront pas à l'agrobusiness. Car, après le demi-échec de Doha, la stratégie du Commissaire européen Pascal Lamy reste d'amener les PED à accepter, lors de la 6è conférence ministérielle de l'OMC fin 2003 au Mexique, d'élargir le Cycle de négociations prétendu du développement aux investissements, à la concurrence et aux marchés publics. Il répète que l'UE fera des concessions sur l'agriculture aux PED en échange de l'ouverture de leurs marchés aux produits industriels de pointe et services des entreprises comme Bouygues, Vivendi, Deutsche Telekom et autres Nokia -secteurs les plus importants pour le PIB et l'emploi de l'UE-, sans oublier les Danone et autres Carrefour qui sont les premiers intéressés à acheter leurs matières premières agricoles aux prix mondiaux. D'où la stratégie de séduction des PED déployée par l'UE depuis l'échec de Seattle, et notamment la décision "Tout sauf les armes" de février 2001 au profit des PMA. Pourtant, si le Cycle du "développement" devait être élargi fin 2003, les perdants ne se limiteraient pas aux agriculteurs du monde entier, mais à l'ensemble de la population mondiale.
Mais le pire n'est jamais sûr et des propositions alternatives existent pour un AoA favorable à l'ensemble des agriculteurs de la planète. Notamment celles faites le 17 juillet 2001 par Via Campesina, mouvement paysan mondial, et le Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA) qui, dans leur communiqué de presse, "dénoncent la libéralisation des échanges de produits agricoles prônée par l’OMC et les politiques de dumping agricole pratiquées par les grandes puissances exportatrices vis à vis des pays tiers, en particulier les Pays Moins Avancés qui ruinent les capacités productives et les habitudes alimentaires tout en faisant disparaître l’agriculture paysanne du Nord et du Sud…La décision de l’UE d’ouvrir sans droit de douane son marché agricole aux produits des Pays Moins Avancés est le contraire d’une solution pour ces pays. Elle est plutôt faite pour justifier la pénétration des marchés des Pays Moins Avancés par les exportateurs de l’UE… Les priorités des paysans et de leurs familles dans les Pays Moins Avancés est d’abord de pouvoir produire pour leur famille, puis d’avoir accès au marché intérieur, bien avant d’exporter. La décision européenne ne va au contraire que renforcer les bénéfices des grandes firmes utilisant les ressources et la main d’œuvre des Pays Moins Avancés pour les cultures d’exportation vers l’UE…Ils réaffirment le droit pour les pays/groupes de pays du Sud et du Nord à protéger leur agriculture et leur marché afin de rémunérer équitablement le travail et les produits des exploitations familiales agricoles".
Il faut donc reconnaître le droit à l'UE et à tout pays de protéger à l'importation ses produits agroalimentaires de base -dont les aliments du bétail- pour lesquelles elle n'est pas compétitive. Par contre, pour souligner que cette protection à l'importation n'a pas de but protectionniste et ne joue pas contre les PED, et pour qu'elle soit acceptée par les exportateurs plus compétitifs -Groupe de Cairns et EU-, l'UE devrait prendre trois mesures :
1) Eléminer l'escalade tarifaire sur les produits tropicaux transformés -coton inclus- en laissant aux PED la valeur ajoutée de leur transformation, une des rares industries où ils peuvent avoir un avantage comparatif.
2) Transférer les prélèvements variables à l'importation à un fonds d'aide à la moindre dépendance alimentaire des PMA.
3) Puisque certains PED sont structurellement importateurs (pays arabes pour les céréales par exemple), la faible minorité des agriculteurs européens prétendant être compétitifs à l'exportation -sans restitutions ni aides directes- pourraient opter pour exporter toute leur production mais seraient privés de quotas de production pour le marché communautaire. Pour le Groupe de Cairns et les EU, la fermeture du marché communautaire serait largement compensée par le champ libre laissé dans le reste du monde où elle exporte annuellement environ 25 millions de t de céréales, 1,8 million de t de produits laitiers et 1,5 million de t de viandes.
Car la déprotection accrue de la PAC -notamment vis-à-vis du Mercosur- serait suicidaire pour ses agriculteurs qui perdraient leur propre marché intérieur qui a absorbé en moyenne, de 1995 à 1998, 89,5% de leurs céréales, 92,1% de leurs viandes et 90% de leurs produits laitiers.
Une protection accrue à l'importation au Sud serait insupportable pour leurs consommateurs pauvres
Les risques, à court terme, qu'une protection agroalimentaire accrue à l'importation au Sud ne soit insupportable pour la majorité de leurs consommateurs à faible pouvoir d'achat sont à relativiser.
Parce que la majorité des consommateurs défavorisés sont aussi agriculteurs et, s'ils n'ont pas tous d'énormes surplus à vendre, ils bénéficieront globalement des prix agricoles supérieurs liés à l'arrêt des importations à prix de dumping.
L'histoire montre que tous les pays aujourd'hui industrialisés, y compris au Sud, ont fortement protégé leur agriculture à l'importation, les seuls PED à ne pas s'être industrialisés étant ceux qui, comme en ASS, n'ont pas eu la capacité politique de le faire.
Il est bien plus rationnel d'aider provisoirement -par des transferts et de la formation et des projets générateurs de revenus- les catégories défavorisées à payer des prix alimentaires supérieurs aux prix mondiaux de dumping. Il est urgent de sortir du cercle vicieux de sous-rémunération généralisée et de sous-développement et d'enclencher le cercle vertueux inverse, basé sur la rémunération des agriculteurs à des prix leur permettant d'investir pour améliorer leur productivité, ce qui réduira leur coût de production unitaire et donc leur prix de vente aux consommateurs. Mais, pour créer les indispensables emplois non agricoles, il faut mettre fin à l'importation massive de friperie interdisant toute rentabilité de la filière textile-habillement.
Une protection agricole accrue à l'importation ferait retomber la PAC dans ses errements productivistes d'avant 1992
Imputer au soutien des prix en soi la dégradation de l'environnement est injustifié car on peut protéger l'agriculture à l'importation sans retomber dans l'intensification, en utilisant deux instruments :
1) Maîtriser toutes les productions -à l'exception de celles compétitives à l'exportation sans restitutions, ni aides directes ni protection à l'importation- pour éviter l'intensification et l'accumulation de stocks. Au moyen de quotas de production (mieux répartis), gels de terres, plafonds de production ou de mise en marché, etc. Les producteurs de betteraves et de lait sont satisfaits des quotas mais il faut en éviter leur marchandisation qui a concentré la production dans les pays qui l'ont instaurée et pas dans les autres.
2) Appliquer rigoureusement le principe pollueur-payeur, imposer la désintensification et la déspécialisation à toutes les exploitations (pour avoir des quotas), avec intégration agriculture-élevage et abandon progressif des élevages hors-sol, réduction des intrants chimiques, et arrêt des subventions à l'irrigation en zone pluvieuse.
La protection à l'importation -par des prélèvements variables- assurerait un prix rémunérateur stable, sans aides directes, aux exploitations paysannes des zones agro-climatiques favorables et couvrant au moins la moitié de la production de l'UE pour chaque produit. Mais le prix d'entrée serait réduit en fonction des gains de rendement moyen, afin d'éviter la surproduction et de pénaliser les consommateurs.
Seuls les exploitants des zones défavorisées auraient droit à des aides directes, plafonnées par actif et fonction de la capacité des exploitations à créer de la valeur ajoutée -donc des emplois- de façon non intensive. Contrairement aux aides directes actuelles, elles seraient supérieures dans les zones aux rendements inférieurs ou aux coûts supérieurs mais où le maintien d'agriculteurs est essentiel pour des raisons de multifonctionnalité, notamment d'environnement et de biodiversité.
La protection à l'importation simplifierait énormément l'AoA
Dès lors que le nouvel AoA posera comme principe de base que tout pays est libre de déterminer le niveau et les formes de protection à l'importation des produits agroalimentaires de base qu'il juge appropriées, il est inutile de fixer des règles sur les soutiens internes. A la limite, même les restitutions à l'exportation ne seraient pas graves puisque chaque pays pourra s'en protéger à l'importation. Cependant, compte tenu de l'incapacité politique de très nombreux pays du Sud à accroître cette protection par suite des pressions du FMI et de la Banque mondiale, l'élimination des subventions explicites et implicites à l'exportation reste prioritaire.
Conclusion
Pour toutes les raisons ci-dessus, il faut revoir drastiquement le nouvel AoA et reconnaître la protection à l'importation comme l'instrument optimal de soutien de l'agriculture dans tous les pays. Seul soutien sans effet de dumping et le seul accessible à la plupart des PED, il est en fait le moins protectionniste. C'est aussi le seul instrument garantissant aux agriculteurs l'accès à leur propre marché intérieur. Et c'est la seule façon de maintenir une agriculture multifonctionnelle. Mais il vaut mieux mettre en œuvre cette protection à l'importation dans le cadre de groupements politiques régionaux de pays voisins (et non de simples zones de libre-échange sans politique agricole commune ni politique de redistribution des revenus comme c'est encore le cas du Mercosul). De même l'OMC n'est pas actuellement un cadre crédible pour accueillir un nouvel AoA ayant pour objectifs la souveraineté alimentaire (par la protection à l'importation) et le développement agricole durable et solidaire. La CNUCED ou la FAO seraient plus appropriés, mais l'on doit continuer à faire pression sur l'OMC pour en démasquer les aberrations.
Le plus gros obstacle à la réussite de cette stratégie réside dans la détermination de l'UE à maintenir contre vents et marées sa prétendue vocation exportatrice de produits de base (céréales, viandes et produits laitiers) : d'abord en freinant la vitesse d'élimination de ses subventions à l'exportation, puis en imposant le maintien dans le nouvel AoA de ses subventions implicites à l'exportation de la boîte bleue, refusant d'admettre qu'elle n'est pas et ne peut être compétitive sans ces soutiens. A cause de son obstination à vouloir conquérir les marchés des PED, l'UE a donné son accord à Doha pour de nouvelles baisses des protections agricoles à l'importation dans tous les pays, ce en quoi elle sous estime très lourdement le risque de perdre son propre marché intérieur, qui absorbe pourtant plus de 90% de sa production pour ces produits. Mais les ONG et organisations paysannes du Sud et du Nord doivent aussi admettre que la protection à l'importation au Nord est la meilleure alternative au maintien d'un dumping camouflé du Nord mais légalisé par l'OMC.
*Economiste, membre de Solidarité (52, rue du Château du Roi, BP 52, 81602 GAILLAC Cedex France);
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