A quoi bon soutenir l’alphabétisation,
si on n’offre rien à lire aux nouveaux alphabétisés ! ?
Dans son discours de politique générale du 5 février 2001, devant les députés, le Premier Ministre, Monsieur Ernest Paramanga Yonli disait :
« Nous nous appliquerons à atteindre un taux d’alphabétisation de 40 % en 2009. »
En cela, il ne faisait que reprendre les perspectives du plan décennal (2000 - 2009) de développement de l’éducation de base. Perspectives qui ont été présentées au cours du Premier Forum National sur l’Alphabétisation, du 20 au 24 septembre 1999.
Mais est-ce suffisant ? Que cherche-t-on ? Augmenter le taux d’alphabétisation ou faire reculer l’analphabétisme ? On pourrait croire que c’est la même chose. Or, il n’en est rien. Un taux de 40 % d’alphabétisation est tout à fait compatible avec un taux de 80 % d’analphabètes. En effet, celui qui sait lire et écrire à la fin du stage d’alphabétisation initiale est déclaré alphabétisé, et cela à vie. Il rentre dans les statistiques. C’est grâce à lui qu’on espère atteindre ce taux de 40 % d’alphabétisés en 2009.
Mais rien ne nous dit que dans 3 mois, ou dans un an ou deux, il saura encore lire et écrire. Malgré les efforts importants consentis pour l’alphabétisation, le nombre de ceux qui savent effectivement lire et écrire dans les villages a peu augmenté. C’est que ceux qui ont été déclarés alphabétisés à la fin du stage dit d’alphabétisation initiale, sont retombés dans l’analphabétisme, s’ils ne sont pas venus l’année suivante pour la formation complémentaire. Or il y a souvent 3 fois plus de stagiaires en alphabétisation initiale que dans les formations dites complémentaires de base.
Face à cette situation, au Premier Forum National sur l’Alphabétisation,
nous étions quelques-uns à demander une première réforme : arrêter de
déclaré « alphabétisé » un stagiaire après 50 jours de
formation intensive, c’est-à-dire à la fin de l’alphabétisation initiale.
(Qui oserait déclarer « scolarisés » les enfants du CP I, à la
fin du premier trimestre de l’année scolaire !).
A cela, il nous alors été répondu : « Nous avons déjà les
plus « mauvaises statistiques » de la sous-région. Une telle
réforme nous ferait reculer, au lieu d’avancer. »
Ce n’est pas tout : la plupart de ceux qui terminent la formation complémentaire de base rentrent chez eux sans documents. Ils retournent à leur champ (car c’est le moment de les préparer, et bientôt de semer...). Au village, rien ne sollicite leur nouveau savoir. Eux aussi, pour la plupart, retombent dans l’analphabétisme.
D’ailleurs, faites une petite enquête dans les villages autour de chez vous. On trouve maintenant d’anciens élèves des CM 2 (certifiés ou non) qui ne s’expriment plus en français, qui ne savent plus lire ni écrire. Alors si des élèves qui ont fait 6 à 8 ans dans les écoles primaires ont tout oublié, que dire de ceux qui n’ont reçu que 50 ou 80 jours de formation.
Le système d’alphabétisation tel qu’il fonctionne, aujourd’hui, au Burkina « fabrique » plus d’ « alphabétisés-analphabètes » que de personnes ayant atteint suffisamment d’aisance et de pratique dans la lecture, l’écriture et le calcul, pour échapper définitivement à l’analphabétisme.
Alors, changeons résolument de perspectives. Oublions les taux d’alphabétisation, et préoccupons-nous du taux d’analphabétisme. Que notre objectif soit vraiment de faire reculer l’analphabétisme au Burkina, et spécialement dans ses 8 000 villages.
Il me semble que ce qui manque le plus au système actuel d’alphabétisation, c’est l’attention à la post-alphabétisation. A quoi sert d’apprendre à lire dans sa langue, si après on ne trouve aucun document dans cette même langue. Ce n’est pas toujours que ces documents n’existent pas. Le plus souvent, c’est qu’aucun effort n’est fait pour que des documents adaptés soient disponibles dans les villages.
Certaines O.N.G. offrent gratuitement les manuels nécessaires à l’alphabétisation, mais laissent repartir les nouveaux alphabétisés sans lecture. Il me semble qu’il vaudrait mieux demander aux stagiaires de payer leurs manuels et autres fournitures, et d’offrir aux nouveaux alphabétisés des documents dans leur langue, ainsi qu’un abonnement d’un an à un journal ou à une revue. On limiterait ainsi le risque d’analphabétisme de retour.
Dans le même sens, toujours dans son discours de politique générale, le Premier Ministre promet : « 8 millions de manuels seront produits et distribués ». Rien sur les documents de post-alphabétisation, qui seuls, à mon sens, justifient un tel effort envers l’alphabétisation.
Il me semble que quelques mesures simples pourraient grandement améliorer le système actuel.
1) A la fin de l’alphabétisation initiale, offrons aux stagiaires quelques documents faciles et agréables à lire, comme des livrets de contes...
2) A la fin de la formation complémentaire de base, offrons des documents adaptés aux stagiaires, et un abonnement à un journal ou une revue dans la langue des nouveaux alphabétisés. Il en existe 19 titres sur le dépliant de l’AEPJLN (Association des Editeurs et Publicateurs de Journaux en Langues Nationales).
3) Que les DPEBA (Directions Provinciales de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation) soient des diffuseurs des journaux, revues et documents en langues nationales. Que cela fasse partie de leur mission. Et qu’elles diffusent non seulement les documents de l’I.N.A. (Institut Nationale de l’Alphabétisation), mais tous les documents de qualité susceptibles d’intéresser leurs populations. Qu’elles aient des fonds pour cela.
4) Que l’I.N.A. (comme cela avait été demandé au Forum National sur l’Alphabétisation) produise un répertoire avec la référence de tous les documents en langues nationales disponibles au Burkina, et que ce document soit régulièrement mis à jour.
Ces réformes peuvent être mise en place rapidement. Les quelques dépenses supplémentaires qu’elles entraînent ne devraient pas dépasser les possibilités du Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation. Elles auraient des effets positifs immédiats, dès la fin de la campagne actuelle d’alphabétisation.
Bien sûr, d’autres réformes, plus lourdes sont attendues. Parmi elles, la généralisation de documents bilingues dans l’administration, l’enseignement obligatoire des langues nationales dans le cursus scolaire classique...
La lutte contre l’analphabétisme devrait être l’affaire de tous. Quand on sait qu’un abonnement annuel à une revue trimestrielle ne dépasse pas, le plus souvent les 500 F, est-ce que tout salarié ne pourrait pas offrir un tel abonnement à sa famille restée au village.
Le Directeur du SEDELAN
(Service d’Editions en Langues Nationales)
et des revues Têngembiiga et Dugulen.
B.P. 332 - Koudougou
tél. 44 03 56
oudet.maurice@fasonet.bf